Description du livre L'homme révolté : une lecture essentielle... - 7 internautes sur 7 ont trouvé ce commentaire utile.une lecture essentielle...
Par freddiefreejazz
Partant des crimes de passion et des crimes de logique, tous ces crimes candides pour lesquels il est facile de porter un jugement, pour en venir ensuite à dire, toujours en préambule, que « la philosophie peut servir à tout, même à changer les meurtriers en juges » (sic), l''auteur connu pour ses romans et nouvelles (tels que La Chute et L'exil et le royaume), propose ici une œuvre dense et passionnante, pas si difficile à assimiler. Cela dit, pas mal d’annotations personnelles permettront de suivre le fil de cet essai que certains, à tort, ont réduit à de la philosophie pour classes de terminales. Oui, bien sà»r, on peut lire (et il est même recommandé de lire) cet essai dès cet âge. On s’en trouvera marqué, c’est indéniable. Le but de l’ouvrage est de proposer une réflexion commencée autour du suicide et de la notion d'absurde, et enfin une autre sur le meurtre et la révolte. Pour Camus, un monde absurde ne propose que deux alternatives : ou tuer ou se tuer ! Le préambule est à ce point riche et d'une honnêteté inouà¯e. Camus s'interroge sur le renversement des valeurs et sur les idéologies (au nom de l'humanisme, au nom de l'humanité, au nom de telle et telle idéologie, « on a tué », et « nier sa propre humanité » amène au suicide : suicide individuel comme suicide collectif). Le meurtre est donc la question. Ainsi montre-t-il (en évitant tous les syllogismes vains et futiles) que toute action politique peut déboucher sur le meurtre. C’est un propos radical, certes, mais il se tient, comme le démontrera Camus dans les chapitres suivants (en décrivant notamment les actions et les conséquences de mouvements révolutionnaires particulièrement sanguinaires). L'Homme révolté fut toutefois mal accueilli lors de sa publication en 1951 (1).Et pourtant, L'homme révolté reste actuel. Dans un « monde absurde » tel que le nà´tre, ne le voit-on pas au quotidien, ne serait-ce qu'au niveau social (la question de l’emploi par exemple) ? La nouvelle idéologie économique (dumping social organisé) conduit bien les grands de ce monde à « tuer » bien des personnes (moralement, psychologiquement). Au nom de la loi du marché, on est prêt à tuer son voisin, son concurrent, prêt à le vendre, à le piller, à l’écraser (comme le montre ce documentaire, que je ne saurai que trop vous recommander, La Gueule de L'emploi, ou comme le montre également le film admirable de Fielder Cook, Patterns). Ecraser ses semblables, les torturer de cette manière devient et est devenu une affaire de survie économique (propagandes, techniques managériales sans limite). Meurtre ou suicide, il faut donc choisir, semble nous dire Camus. Mais il faut aller plus loin pour comprendre qu'il y a une autre alternative : la « conversion » (dans le sens choisi par Simone Weil, philosophe hélas plus ou moins oubliée mais dont Camus a préfacé quelques ouvrages), ou encore dans le sens choisi par Jacques Ellul (lire son Autopsie de la Révolution) et même dans le sens exprimé par Nietzsche (pour ce dernier, il s’agit de se convertir à la philosophie). Une autre alternative est donc possible dans la mesure oùl'on retrouvera un sens personnel dans les choses, dans sa manière d’être, un sens aussi oùl’on sera capable de remettre en question des choix de vie, son mode de vie, autrement dit encore, dans une foi active (dans le sens défini par Vladimir Jankélévitch, c'est à dire, dans le fait de se fiancer, non pas à une idée, mais à des valeurs telles que l'amour, la justice, la recherche de la sagesse, à la recherche aussi de la paix et de la vérité (écouter son rythme intérieur), sans oublier la recherche de la joie, cet état de bonheur dont parlait Arthur Schopenhauer dans Aphorismes sur la sagesse dans la Vie). Il nous faut œuvrer ensemble si possible (ça serait sans doute l’idéal…), mais le plus souvent, hélas (ou heureusement), c’est en solitaire que l’on agit. On est foncièrement « seul » dans nos actes, nos pensées, nos prises de décision…Premier constat pour sortir de cette boucherie que représente l’absurdité de ce monde : faire silence en soi-même et réfléchir seul. Car pour Camus, nous sommes solitaires (ou mieux « solitude »). La conversion à la philosophie, ou encore à une certaine spiritualité « en marge », non pas à une spiritualité de « bricolage », mais une spiritualité basée sur des fondements solides, sachant que ces fondements ne sont pas (paradoxalement) tangibles, sachant aussi que la foi se conjugue aussi avec le doute (à ce sujet, lire ou relire les ouvrages de Kierkegaard et voir ou revoir certains films d’Ingmar Bergman…), Camus insiste sur le fait que finalement, oui, il est légitime d'être révolté (révolte métaphysique) mais que la pure révolte politique n'apporte rien. Au contraire, elle détruit, elle démolit. La révolte n'est pas nécessairement animée d'une force transcendante, et n'a pas de plan déterminé (bref, c’est le serpent qui se mord la queue). C'est donc au prix d'une prise de conscience d’abord individuelle puis collective, une prise de conscience tournée vers la Pesanteur et la Grâce, pour reprendre le titre d'un ouvrage de Simone Weil (sachant que la conscience évolue…), c’est à ce prix donc que les meurtres et les spoliations cesseront, que l’esprit de domination cessera lui aussi. Il est temps de lire cet essai de Camus avant que la Grande Barbarie ne vienne et ne fasse de gros dégâts... En d’autres termes, il nous faudrait à la fois une parole libérée pleine de discernement, retrouver une sensibilité qui fait tant défaut de nos jours, retrouver également une laà¯cité forte et une spiritualité débarrassée des oripeaux des sectarismes (religieux, politiques, économiques et même philosophiques, etc.).Camus avait compris cela, tout comme Jacques Ellul, Simone Weil, Emmanuel Levinas et bien d'autres encore. Il est tant d'agir, chacun à sa manière, chacun de son cà´té. Chacun avec sa propre conscience, dans la mesure de nos limites, dans la mesure de notre santé, dans la mesure oùnous extirpons du milieu de nous, et de nous-mêmes, la haine, la peur, les stéréotypes, les opinions toutes faites, les jugements hâtifs, les illusions et tout orgueil. Il s'agit de revenir à une certaine « réalité » et à l’amour. Amour de soi qui débouchera sur l’amour de l’autre. Et c'est par l'esprit que nous parviendrons à cela (j’insiste sur ce mot, « esprit »). Laissons le souffle d'amour, le souffle de vérité (lire l'ouvrage de Lytta Basset, Aimer sans dévorer) nous toucher, afin de ne pas se vanter de nos actions, afin de continuer d'avancer, même si nos pas sont parfois chancelants, peu nombreux et hésitants. Tout est donné par Grâce. Mais la Grâce, c'est aussi être inspiré. Inspiré par quoi ? Inspiré par qui ? Inspiré en vue de quoi ? A chacun sa réponse. La mienne trouve sa source dans la lecture et l’esprit critique. Inspiré donc pour agir, en se souvenant de ce que disait Camus : nos actions doivent être orientées par des « valeurs supérieures », par nos lectures, de ces lectures qui nous changent et nous préparent à affronter un réel parfois insupportable. Et si l’on échoue, tant pis, on recommence, on se relève, on s’exerce de nouveau, on essaie une nouvelle fois. La valeur suprême qui doit nous animer est double, voire triple : amour pour le souffle de vie, amour pour soi même, amour pour les autres. Et la première manifestation de l'amour, c'est la patience (et non l'efficacité immédiate, ni le culte du résultat), ce que beaucoup ont, semble-t-il, oublié ! C’est en critiquant sévèrement le nihilisme, et le relativisme (rien n’est vrai ni faux, bon ou mauvais, bien ou mal, la règle aujourd'hui est de se montrer le plus fort et donc le plus efficace…), Camus offre un ouvrage salvateur en ces temps de déroute. Une œuvre phare à reconsidérer coà»te que coà»te. Le travail de toute une vie, pour toute une vie ! A bons entendeurs !_____________________________________________________________________________(1) Sartre, par exemple, ne ménagera pas sa peine pour démolir l’essai de Camus… Essai majeur de l'oeuvre d'Albert Camus, L'Homme révolté est un livre prophétique sur la situation politique et sociale de la France des années cinquante. Marquant l'engagement philosophique de Camus, cet ouvrage est une relecture personnelle des grandes étapes de l'esprit de révolte, de la Révolution française à la Révolution russe. Les grands penseurs, de Sade à Nietzsche en passant par Marx ou Saint-Just sont évoqués et analysés, de même que les grands courants de pensée à la marge ou aux extrêmes, des nihilistes aux surréalistes en passant par les anarchistes ou les royalistes. Grand essai érudit et cultivé, dans l'esprit de l'honnête homme, cet ouvrage aborde la révolte sous ses aspects métaphysique, historique, et artistique. Plus que de toutes autres de ses oeuvres, on retrouve ici exprimée l'évolution de l'esprit contestataire de Camus, qui fait de cet essai un classique absolu. L'Homme révolté est une sorte de Lipstick Traces avant l'heure, en moins rock'n'roll certes mais tout aussi remarquable. --Florent Mazzoleni
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